Mon plus ancien souvenir de Jean Rochefort

Sarah

J’ai huit ans, je suis assise entre ma sœur et ma demi-sœur, je suis la petite, la dernière. On est samedi soir. On a mangé, je suis déjà en pyjama-peignoir, mes dents sont brossées, mes cheveux peignés. J’ai enlevé mes chaussons pour m’installer sur le canapé.
Ma sœur appuie sur le gros bouton carré du téléviseur parce que ça y est, ça commence, c’est l’heure de Winnie l’ourson. Le samedi soir, on ne manque jamais Winnie l’Ourson.
On a choisi les personnages auxquels s’identifier, enfin les grandes plutôt ont choisi : ma sœur est Maître Hibou qui a réponse à tout, ma demi-sœur Tigrou, le tigre bondissant. Par défaut, il me reste Porcinet, le petit porc timide toujours inquiet avec sa voix grêle et son cheveu sur la langue.
Avant chaque épisode, un monsieur parle : il a une voix grave, une voix douce, il porte une paire de moustaches. Il sourit souvent, pourtant ses yeux sont tristes. Il explique ce qui va arriver dans la Forêt des rêves bleus. Ce monsieur en fait, c’est le conteur. Il a l’air attendri, surtout quand il parle de Porcinet, dans ces moments j’ai l’impression que c’est à moi qu’il s’adresse, directement.

Anthony

Mon plus ancien souvenir de Jean Rochefort m’échappe. Comme s’il avait déjà été un peu partout, comme un voisin croisé dans la rue depuis toujours, un oncle qu’on a toujours vu aux repas de famille et qui, quasiment, nous a vu naître, nous a vus âgés de quelques jours, et n’a cessé depuis de nous voir grandir, commencer à marcher, puis à parler, et ainsi de suite.
Moi aussi, je me souviens nettement de Jean Rochefort qui présentait les aventures de Winnie l’ourson. Avec toute sa tendresse et son fond de mélancolie que je devais prendre pour du calme, avec ce quelque chose dans son regard, ou dans sa voix, et dans l’ensemble de son attitude qui me semblait être la gentillesse même, ou une infinie bonté, et qui, je m’en souviens en y réfléchissant, rassurait beaucoup l’enfant inquiet que j’étais.