Les mots qui n’existent pas/2

Depuis quelques jours, je guette le site d’inscription de la Sorbonne pour voir si ma candidature au Diplôme Universitaire de catalan, niveau débutant, a été retenue. Le centre d’études est situé dans la rue Sainte-Croix de la Bretonnerie, en plein quartier du Marais, dans un hôtel particulier restauré qu’on peut visiter virtuellement à l’aide de flèches directionnelles. Quels vont être leurs critères de sélection ? Quand bien même nous serions peu, sur les deux millions d’habitants que compte Paris, à vouloir suivre le cours du soir du mardi, l’effectif ne devrait pas dépasser une vingtaine d’élèves. Ne serait-ce que pour candidater, j’ai dû envoyer par voie électronique pièce d’identité, diplôme(s) et lettre de motivation.

Je lis et comprends, imparfaitement, cette langue, sans pouvoir la parler.

Guetter un site — l’expression me paraît incorrecte. Dans ma langue maternelle déjà, le doute surgit, j’allais dire vite, et ne pas faire l’économie d’un pléonasme.

Apprendre une langue en sachant que je ne la maîtriserai jamais, que je me heurte déjà à la complexité de la mienne, que le temps ne devrait pas jouer en ma faveur (l’effritement de la mémoire, un poncif ?), ne peut être une motivation.
Je ne compte ni vivre à Barcelone ni spécialement m’y rendre.
Je n’ai plus personne en Catalogne.
Personne ne parle plus catalan autour de moi.
Je ne nourris aucune passion pour ses sonorités.

Encore que. C’est de ne plus jamais l’entendre qu’est venu le manque. L’absence, davantage que l’inclination. Non pas l’absence qui cristallise — le catalan ou la Catalogne n’entrent pas dans ma sphère imaginative quotidienne — mais le fait qu’ils aient disparu de ma vie. À l’occasion d’un film, Honor de Cavalleriad’Albert Serra, ou d’un travail en dramaturgie, Massacre de Lluïsa Cunillé, la même sensation peut me troubler, un mélange de douleur et de joie. Comme si je retrouvais quelqu’un de cher tout en éprouvant, simultanément, l’impossibilité de ces retrouvailles.

Parlo català una mica, la meva avia era de Terrassa.

En janvier 2020, face à Lluisa Cunillé venue assister à la première représentation de sa pièce au Studio-théâtre de la Comédie-Française, voilà ce que j’ai finalement articulé, en tout et pour tout deux propositions juxtaposées sans coordination ni subordination — le degré zéro de la conversation. Pour autant, deux aveux difficiles.

Le mot qui n’existe pas : vivre des retrouvailles impossibles.


Honor de cavalleria (2006) - Albert Serra