Nous promettons de combattre 1

G-R-Ü-N-D
 ?
Points qui flottent sur le u, quatre consonnes une voyelle — presque un cri de bête ?
Mon regard vient de glisser sur des livres alignés à ma portée. Sur chaque tranche, le mot GRÜND se répète, suivi de Contes de Grèce, Contes de Perse, Contes de Bohème, Contes du Caucase… J’en ouvre un au hasard, puis un autre : une princesse à la peau verte, des rapaces aux mains de vieille femme dans un ciel obscurci, le Minotaure — j’ai reconnu ses naseaux et ses cornes de taureau — piétine des têtes de mort…
Rien à voir avec les albums illustrés auxquels je suis habituée.
Pour autant.
Même stupeur qu’avec mon père.

Mon père.
Tout le monde vit aux aguets de ses colères, une menace qui plane au quotidien, un ça va barder qu’il met à exécution.
Plus que tout, j’ai peur des silences glaciaux qui suivent les explosions.
Mais dans les Gründ, quelque chose me rassure.

Je sais !

Les contes se finissent bien. Le vaillant petit tailleur devient riche, la sorcière est chassée du royaume, le dragon terrassé à jamais… Quels que soient le périple, l’intensité du danger, cela se vérifie sans exception. J’en déduis sur-le-champ que l’ordre du monde réel aussi peut être renversé, et cette révélation, ce jour-là, m’ouvre une perspective de résistance : dès lors, quand mon père se mettra à hurler, je hurlerai plus fort campée face à lui, même si ma mère m’empoigne pour me soustraire à sa fureur en m’enfermant dans une pièce dont elle garde la clé.
Malheureusement, je n’aurai pas le temps de m’entraîner.
Quelques semaines plus tard, un changement radical se produit : ma mère quitte mon père pour une femme, et le Sud-Ouest pour le Massif central.