Tristesse du féminisme I

6 mars 2024

J’entends qu’en ce moment, le féminisme triomphe. Hargneux, victorieux, il s’imposerait partout où il passe, tabula rasa et statues déboulonnées.
Pourtant, je suis triste.
Je devrais me sentir une énergie de malade, guettant le printemps comme une occasion de jouir, plus pleinement encore, de ce nouvel état de faits.
Mais je suis à plat, c’est bizarre. Est-ce moi qui rechigne à rejoindre la danse collective, moi qui fais preuve de mauvais esprit ?
Ne devrais-je pas m’émerveiller de voir fleurir les projets ou récits « féministes », dirigés ou écrits par des hommes ? Quel changement dans les consciences, en si peu de temps, c’est même dingue. Miracle du vivant. Un boys club devient une maison d’édition féministe, mon premier prof de théâtre monte une version féministe du petit Chaperon rouge (bon, avant d’être rattrapé par un collectif féministe qui crie à l’imposture et le pousse à la démission de la direction de "son" théâtre), un ancien collaborateur que j’emmerdais avec « mes trucs féministes » ne jure plus que par les figures féminines « puissantes ».
Tant de progrès.
L’IVG est inscrit dans la Constitution, depuis quarante-neuf ans que l’Académie des César existe, une deuxième femme reçoit celui du meilleur film, il se peut que le mythe de la jeune femme fascinée par l’artiste vieillissant soit écorné, les policiers sont mieux formés (je le vérifie quand j’accompagne des femmes, dont ma fille, porter plainte au commissariat), les entreprises ont des modules de sensibilisation aux violences sexistes, les institutions culturelles voient leurs subventions soumises à l’obligation de telles formations, le monde universitaire, éditorial, littéraire frémit et… je ferais la fine bouche ?
On me dit bien, souvent, que c’est spectaculaire ce qui se passe, à l’échelle de l’humanité.
À mon échelle, minuscule, ça reste épuisant, décourageant. Je ne sais pas ce qu’elles prennent, les « vraies » féministes, au petit-déjeuner. À mon échelle, donc, c’est une succession d’échecs ou de tentatives en cours. La plainte de ma fille va-t-elle aboutir ? Des semaines de vigilance, depuis, et des soins multiples à payer. Mes propres plaintes étant prescrites, un signalement vaudrait-il le coup ? Sans doute, oui, répondent les professionnels, et donc un week-end entier à mobiliser pour écrire des courriers lettres mortes. Dans mon premier métier, précaire, celui de la culture, dont le budget vient d’être largement amputé, courir après les contrats payés, bientôt devenus un luxe ? Est-ce en lien avec le féminisme ? Oui, mais je n’ai pas le temps de développer. Plus tard, pour sûr, un jour. Dans le second (la thérapie), être parfois formée par des formateurs qui n’ont pas été formés ni même sensibilisés aux violences sexistes et/ou classistes - et là, la fatigue ressemble à du désespoir, un temps, puis se transforme en réaction = parler, signaler, protester par écrit = beaucoup de temps = encore du travail invisible, bénévole, non reconnu.