WINTERREISE / Fredrik Brattberg / Cie Man Haast Tommy Milliot / 2017

Alfred et Anne sont un jeune couple. Anne vient d’accoucher d’une petite fille. À peine sortie de l’hôpital, la jeune femme doit y retourner pour une visite de contrôle. Resté seul avec le bébé, Alfred s’absente du domicile le temps de faire une course. Passant à l’improviste, la tante du bébé découvre alors le nourrisson dans son berceau, laissé sans surveillance.


© Alain Fonteray

Prolongeant son exploration des écritures contemporaines, la compagnie choisit de travailler aujourd’hui sur la pièce de l’auteur et compositeur norvégien Fredrik Brattberg (prix Ibsen 2012), Winterreise (traduite par Terje Sinding avec le soutien de la Maison Antoine Vitez).
De fait, la question de la parentalité et plus largement des rapports familiaux, déjà présente dans les créations précédentes de Man Haast, est au centre de Winterreise (Voyage d’hiver). Un couple voit apparaître l’objet désiré – l’enfant. Très vite, l’émotion suscitée par la naissance d’un être encore inconnu fait place à des sentiments ambivalents porteurs d’angoisse. Un désir de fuite, d’abandon ou de mort s’empare tour à tour des jeunes parents sans qu’ils parviennent jamais à exprimer leurs sentiments. Dans Voyage d’hiver, la force du langage réside justement dans « l’incapacité de dire » des personnages. C’est ce vide que nous choisissons de questionner. Ici, il est double. L’écriture de Fredrik Brattberg, concise, faussement naïve, nous plonge avec une remarquable économie de moyens dans un univers tragi-comique où des parents échouent à accueillir l’enfant qui vient de naître. Winterreise offre des possibilités scéniques considérables : la scène pourrait être une chambre d’enfant, un wagon de train, un hôpital, un parking… La scène restera finalement un lieu de projection, le vide d’une boîte lumineuse qui révèle des personnages tourmentés par leurs peurs. Un espace où chaque mot, chaque geste est nécessaire mais où l’imaginaire peut se déployer librement. Le décor, ce sera la présence ou l’absence de la lumière qui mène le public au-delà des limites du réel et du temps. Le son viendra briser la stérilité apparente de l’ensemble pour ramener le spectateur à un univers familier : celui des pleurs de l’enfant.
Chez Brattberg, la simplicité des situations est contrebalancée par une structure dramatique ciselée, basée sur des répétitions et des variations qui font peu à peu déraper le réel. L’humour noir de l’auteur participe de ce dévoilement progressif des dysfonctionnements humains où le quotidien devient autant source de rire que motif d’angoisse.


© Alain Fonteray

Pour prolonger, un entretien avec Fredrik Brattberg (octobre 2017, Marseille).

Texte : Fredrik Brattberg
Traduit du norvégien par Terje Sinding
Mise en scène et scénographie : Tommy Milliot
Avec : Louise Dupuis, Michèle Gurtner, Matthias Hejnar
Dramaturgie : Sarah Cillaire
Lumière et régie générale : Sarah Marcotte
Son : Gaëlle Hispard et Aurélie Granier
Assistante mise en scène : Marie Cousseau
Photos : Alain Fonteray
Construction : Jeff Garraud
Production : Man Haast.
Coproduction : La Rose des Vents - Scène nationale, Pôle Arts de la scène - Friche la Belle de Mai, Festival Actoral
Avec le soutien de Montévidéo - Créations contemporaines, du CENTQUATRE - PARIS, du Théâtre de Vanves - scène conventionnée pour la danse, du Théâtre Paris Villette et de la SPEDIDAM. 
La compagnie Man Haast est en compagnonnage avec Diphtong Cie / Hubert Colas, avec le soutien du Ministère de la Culture. L’Arche est agent théâtrale du texte représenté

Man Haast

La compagnie, créée en 2014 par Tommy Milliot, privilégie les écritures contemporaines. Dans chacune des créations, l’espace vide constitue le point de départ. De cet espace peut naître le théâtre : avec la lumière comme matière tantôt visible, tantôt invisible, et avec les mots comme matière tantôt sonore, tantôt résonance. Il s’agit chaque fois de chercher à densifier des formes scéniques simples à l’aide d’outils propres au théâtre (son, lumière, jeu et vidéo). La recherche plastique du dispositif et la dramaturgie du projet s’effectuent en amont, le travail se portant ensuite sur la relation corps des acteurs - espace - lumière – spectateur.