LA GUERRE DES IMAGES / Cie Fleuve de janvier / 2024

À l’origine de La guerre des images, il y a une diapositive que j’ai trouvée en 2020 dans une benne à ordures. Une image minuscule et fascinante qui représente une Vénus allongée devant un paysage chaotique : une cité lointaine qui paraît brûler. Sous les colonnes de fumée noires et menaçantes, la Vénus est impassible, elle tourne le dos à l’apocalypse et semble comme endormie.
Malgré mes nombreuses recherches je ne suis pas parvenu à déterminer le titre de cette peinture, ni son auteur ou son emplacement.
Le temps a détruit certaines couleurs de la diapositive, si bien que lorsque je l’ai scannée, il ne restait qu’une nuance majoritaire de rose très intense.
Cette couleur improbable redouble le statut d’énigme que prend cette image à mes yeux. C’est un des matériaux qui sert à l’écriture de La guerre des images.

Charles Chauvet - écriture, scénographie, mise en scène

Qui sommes-nous donc encore pour nous laisser dépouiller de ce que nous sommes ?
Extrait de Ceci tuera cela. Image, regard et capital par Annie Le Brun et Juri Armanda, Stock 2021

À l’ère de la culture distributive, les images sont soumises au diktat de la visibilité. Produites en permanence, elles échappent à notre contrôle, nous ne pouvons même plus nous représenter les conséquences de ce que nous déléguons à la technique. Ce « monstre technologique » au service du capital, comme le nomme Annie Le Brun, qui ne dort jamais et nous dépossède de ce que nous sommes à mesure que nous le publions, le consommons, pourquoi ne rencontre-t-il pas de réelle résistance ?


Si le constat de la philosophe est sans appel – cette saturation du visible appauvrit également notre rapport à la connaissance, transformant le savoir en un espace balisé, mémorisé, où se perdre n’est plus un moyen de trouver, où les traces nous tiennent lieu de futur, où le « rien » s’assume comme une valeur marchande – il remet au centre la question de la perception. Dans une société panoptique, sorte de « prison sans murs » rêvée par le capitalisme de surveillance, ce qui échappe au regard est aussitôt frappé de suspicion.

Cette « injonction à la transparence », les protagonistes de La guerre des images vont pourtant s’y heurter, refuser de s’y soumettre. Amenés à douter de la vérité de ce qu’ils perçoivent, de ce qu’ils ressentent, ils se laissent traverser par les pouvoirs de l’image dès lors que celle-ci porte en elle un contrepoint, une ligne de fuite, une énigme. « Le capital est l’ennemi mortel de l’infini », écrit encore Annie Le Brun. En ne tolérant aucun point de fuite, le capital nous fait oublier l’espace de liberté qui reste à conquérir. Or la scène, où rien n’est plus naturel que le simulacre, peut être cet espace. La guerre qui se met alors en place est moins celle d’une controverse esthétique ou morale que celle des images qui livrent bataille, littéralement, pour reprendre les armes.

En se jouant constamment des codes de la représentation, l’écriture de Charles Chauvet fait le pari d’entrouvrir une brèche jusqu’au point le plus obscur de l’âme.
Les certitudes vacillent, la scène bascule, et les images renvoient chacun des protagonistes de la pièce à ce qu’ils ne veulent ou ne peuvent plus voir. Cette traversée, qui déroule les ficelles de la comédie, de l’enquête à suspense, débouche sur un rire noir, satirique, à l’instar d’une Danse macabre qui prendrait la tragédie à revers pour mieux traquer, et combattre, les raisons de désespérer.

Sarah Cillaire - note dramaturgique, septembre 2023

© Pascal Gely

Ecriture, mise en scène et scénographie : Charles Chauvet
Compagnie Fleuve de Janvier
Accompagnement dramaturgique : Sarah Cillaire
Avec Isabel Aimé Gonzalez Sola, Luca Besse, Matthias Hejnar et Mireille Herbstmeyer
Création lumière : Léa Maris
Création musicale et sonore : Antoine Prost
Directrice de production Corine Péron - On s’en occupe

Avec le soutien de la DRAC Île de France (au titre du compagnonnage)
Première étape de travail Août 2022 à Théâtre Ouvert, Paris
puis Août 2023 au Studio Théâtre de Vitry
Présentation d’une maquette à l’automne 2023 au Théâtre Silivia Monfort, Paris
Fragments et au Salmanazar à Epernay dans le cadre du festival FRAGMENTS,
projet parrainé par Les plateaux sauvages.
Résidences (en cours) : Théâtre Ouvert, Studio Théâtre de Vitry, Les Plateaux
Sauvages, Le CENQUATRE-PARIS

Création du spectacle le 27 novembre 2024, Les Plateaux sauvages, Paris 20ème.