Histrionisme/hystérie (2024)

L’histrionisme – pour ne pas dire hystérie ? – a rarement bonne presse. Peut-on les dissocier, contourner l’Histoire ? Depuis l’Antiquité où l’hystérie est perçue comme une maladie causée par des dysfonctionnements de l’utérus – mal d’enfants, manque ou excès de semences masculines – en passant par les symptômes spectaculaires des patientes de Charcot, la théorie psychanalytique freudienne, la redéfinition du DSM IV, jusqu’à son acception postmoderne qui peut, légitimement, considérer notre société en besoin constant de représentation, séduction, simulation, comme une société puissamment hystérique, on s’aperçoit combien ce terme est problématique.

« Histrionisme » dérive du mot latin histrion. Chez les Romains, l’histrion est un acteur qui joue dans les bouffonneries grossières importées d’Étrurie (Littré). Ce mot, d’une connotation péjorative, désigne un comédien cabotin, excessivement théâtral, « qui a un goût poussé jusqu’à la manie de jouer la comédie ». En psychologie, l’histrionisme serait une particularité caractérielle de certaines personnalités montrant des conduites théâtrales. (www.cntrl.fr)
Avant de cheminer vers la psychopathologie, il est tentant de passer par le théâtre. En abordant la question de la catharsis, c’est-à-dire la purification des passions. L’expression exacerbée des passions humaines, le propre du théâtre antique, est une façon de les convertir sur un plan rhétorique, esthétique et/ou politique. On le voit chez les Grecs, les Latins, les récits mythologiques, en inspirant crainte et pitié, avaient pour fonction de représenter, sans passage à l’acte, les pulsions de destruction, de transgression, les tabous insondables (parricide, infanticide, inceste, etc.). Quiconque en était spectateur, par la « décharge émotionnelle » vécue durant la représentation, suivie d’une prise de conscience, bénéficiait en quelque sorte d’une cure thérapeutique, d’une purification nommée catharsis.

Œdipe roi – Pier Paolo Pasolini

Pour cela, le comédien pouvait se mettre dans des états de conscience modifiée, par la transe, la danse, par des rituels codifiés incluant paroles et mouvement. L’exagération théâtrale, en créant l’effroi, le chagrin, avait une fonction régulatrice dans la société.
Si on regarde l’étymologie du mot « histrion », en revanche, on découvre qu’il a de suite été stigmatisant. Les histrions venaient d’Étrurie (civilisation des Étrusques, aujourd’hui vers la Toscane), et les lois romaines ne les considéraient pas comme des citoyens. On les soupçonnait d’être des esclaves. Bien qu’ils aient introduit les « jeux scéniques » à l’origine du théâtre latin (différent du théâtre grec), ils sont devenus synonymes de « bouffon », « farceur » ou mauvais comédien, sachant que les comédiens, dans la Rome antique, étaient déjà des citoyens de seconde zone.
L’histrion associe donc, dès son origine, une fonction cathartique et une stigmatisation.
Si l’on revient à une vision plus moderne du comédien, il est drôle d’observer comment les choses ont évolué : les histrions d’aujourd’hui, tels les acteurs et actrices de cinéma quand ils ou elles sont très médiatisé.e.s, restent objets de haine, de fascination. Bien qu’ils ou elles s’inscrivent en dehors de la société ordinaire, ces « stars » servent de repoussoir ou de modèle pour des générations, pointées pour leurs excès, leur comportement hors normes, leur chute, bref, dans le grand cirque médiatique, les ficelles de la tragédie fonctionnent encore (le procès Johnny Deep/Amber Head, laquelle sera expertisée « hystérique » par certains psychiatres, est un cas d’école.)
L’exemple du métier de comédien ou de comédienne, dans sa dimension plus ordinaire, peut également être pertinent pour éclairer le trait ou le trouble hystérique, cette fois en psychopathologie. Caractérisé.e par la maîtrise d’une technique théâtrale, le ou la comédien.ne incarnerait ce besoin insatiable d’être sous les projecteurs. S’il ou elle en a fait sa profession, c’est même, littéralement, que ce besoin lui permet de vivre = payer son loyer, ses formations, assurer une continuité « d’intermittent » quand bien même précaire.
Le « scénario de l’hystérique » pourrait se confondre, à gros traits, avec la métaphore du comédien.ne professionnel.le (ce parallèle est emprunté à Uschi Waldherr, grande amie gestaltiste également sexothérapeute) : appelons ce comédien Marlon.
Pendant la durée de la représentation, Marlon emploie toutes les ressources dont il dispose, sa voix, son intelligence, son corps, sa technique, pour attirer l’attention. Au centre de la scène, tout le monde le regarde mais lui ne voit pas grand-chose, aveuglé par les projos. Regardé par tou.te.s – pour autant il ne regarde personne. En revanche, il perçoit tout : un frémissement d’ennui dans la salle, des toux possiblement synonymes de gêne, des silences (concentrés ou fascinés ?), l’émotion gagnant les gradins à mesure qu’il déroule le soliloque de Hamlet. Chacune de ces perceptions lui permet d’ajuster son comportement pour retenir davantage l’attention, la regagner si besoin, jusqu’aux bravos qui, idéalement, couronneront son interprétation : ça y est, on l’applaudit à tout rompre, cinq saluts, il a gagné l’amour d’une salle entière !
Une amie comédienne m’a dit récemment : « Je fais quand même le seul métier où on est applaudi à chaque fois qu’on travaille. »
Bref, revenons à Marlon. Durant toute la représentation, les projecteurs l’ont aveuglé et, si le public l’a applaudi, longtemps, il n’a croisé aucun regard hormis celui de ses partenaires. Ce soir-là, la représentation est un succès. Marlon regagne sa loge, épuisé, l’adrénaline retombe, il est en train de se démaquiller quand quelqu’un frappe : c’est une fan, bouquet de fleurs à la main, tombée sous le charme, et qui veut témoigner à Marlon son admiration. L’acteur remercie, gêné, il ne sait pas quoi « rendre » à celle qui lui manifeste ainsi, soudainement, beaucoup d’amour. Certes il a tout fait pour être aimé, applaudi, admiré mais, dans la relation à deux, de personne à personne, il ne voit pas comment « aimer » à son tour. Un contact authentique ne peut s’établir. Marlon ne sait ni comment satisfaire sa fan à la mesure de son attente ni se nourrir de façon satisfaisante de cette manifestation singulière d’amour, émanant d’un seul individu, alors qu’il vient de conquérir une salle entière.
Heureusement, une autre représentation a lieu le lendemain, puis une autre, et une autre…
Hypothèse polarisée : Marlon sait qu’il maîtrise certains registres, le soliloque élisabéthain, la puissance des figures de Sénèque, le jeu feutré, stanislavskien, des pièces de Tchekhov, cependant il doute de sa capacité à donner le change dans la vie ordinaire : laver les mioches, payer les factures, faire des compromis, organiser les vacances familiales... ou, probable aussi, il n’en a pas envie.

Limelight - Charlie Chaplin

En guise de transition entre l’art de l’acteur et le trouble histrionique, voyons l’actrice Vivien Leigh interpréter Blanche Dubois dans Un tramway nommé Désir, un film d’Elia Kazan adapté de la pièce éponyme de Tennessee Williams - cliquer ici.

Blanche Dubois est une femme terrifiée à l’idée de vieillir, endeuillée par la perte de son époux, dont on apprend qu’il était homosexuel, et ruinée parce qu’elle n’aurait pas su garder la propriété familiale. Pour couronner le tout, la société la rejette suite à un détournement de mineur dont elle s’est rendu coupable alors qu’elle était enseignante. Sa survie consiste à « arranger la vérité », à en refuser certaines. Tourmentée par son envie de séduire son beau-frère Stanley Kowalski alias Marlon Brando (qui finira par la violer) et par l’urgence de retrouver un mari - elle jette son dévolu sur Mitch, ami de Kowalski, jusqu’à ce que la mère de Mitch, ne la trouvant « pas assez pure », oppose son véto - elle sombre peu à peu dans la folie.

En miroir du trouble « hystérique » de Blanche (son besoin de plaire, son théâtralisme), Tennessee Williams dresse le trouble hystérique masculin, à travers le personnage joué par Brando (accès de colère, domination, violence), moins surprenant, plus banal que celui associé à une féminité souffrante. En violeur sexy, Brando triomphera de fait, et on connaît la suite, le bad boy étant pour Hollywood un fonds de commerce juteux...

Quant à la misogynie collective qui rejette la femme seule vieillissante, comprenne qui pourra. Pourtant, on voit bien ici comment l’organisme et l’environnement cocréent une pathologie : Blanche serait-elle « hystérique » si la société ne la condamnait pas à plaire à tout prix, si sa survie, comme elle le croit, sans doute, à juste titre, ne dépendait pas des hommes ?

C’est l’une des difficultés qui entoure « l’hystérie ». Sur un plan anthropologique, le comportement « hystérique » a d’abord permis la protection de l’espèce. L’hystérie, et la perception qu’on en a, sont particulièrement, intrinsèquement liés, à l’évolution de l’être humain en société, nous y reviendrons.

Après ce détour par le théâtre, revenons à l’histoire du mot.

Jusqu’à récemment, l’histrionisme était appelé hystérie. Récemment, c’est-à-dire jusqu’en 1980. Puis, dans le DSM III, la « névrose hystérique » a été scindée en troubles somatoformes d’une part et, d’autre part, en personnalités émotionnellement labiles prenant le nom d’histrioniques.

Le terme, histrionique/hystérie, rime avec excès, de colère ou de séduction, maniérisme, extravagance, infantilisme, narcissisme, superficialité, absence d’authenticité, simulation, etc. L’histrionique se mettrait en scène, serait manipulateur.trice, aurait pour finalité d’attirer l’attention, d’épater la galerie, couverture à soi, de faire du drame, d’inquiéter l’entourage, etc. Son symptôme serait, on l’a vu, le théâtralisme.

Si on laisse de côté l’art théâtral, son histoire se confond, encore maintenant, avec la perception du féminin, et il paraît délicat de parler d’histrionisme en enjambant son ancien nom d’hystérie ; ce serait alimenter une forme de déni quant à ce qui a longtemps été, à travers justement ce mot à l’étymologie grecque (hystera/utérus, hysterikos/malade de l’utérus), et les mots réduisent, une forme de pathologisation de la féminité.

On peut lire ici le genre face aux mutations de Nicole Edelman.

À cet égard, il est extrêmement instructif d’écouter, sur France Culture, les quatre épisodes de l’émission LSD qui démontrent comment l’histoire violente de l’hystérie continue d’alimenter la misogynie dans les domaines psychiatrique, psychanalytique, politique, judiciaire… Par la psychiatrisation des « troubles » féminins, par la stigmatisation de la parole féminine (de la sorcière possédée aux « poissonnières » qui se font siffler à l’Assemblée nationale, la furieuse est pointée comme inaudible, dangereuse, ridicule, etc.), le terme « hystérie » fabrique toujours du musellement, donc de l’ostracisme.
Une femme en colère sera très souvent qualifiée d’hystérique, une façon d’invalider sa parole.
Cela paraît caricatural, ça ne l’est pas.
Et ce n’est, bien évidemment pas, sans conséquence sur la constitution même de la société, l’éducation, la sexualité, etc.

Écouter Les fantômes de l’hystérie - Histoire d’une parole confisquée : un podcast à écouter en ligne

Comment ça apparaît ? (selon le DSM)

Au niveau clinique, la caractéristique essentielle de la personnalité hystéro-histrionique est un mode général de comportement fait de réponses émotionnelles et de quête d’attention excessives, envahissantes. Le paraître prime sur l’être. Ce mode apparaît au début de l’âge adulte, est présent dans des contextes divers, comme en témoignent au moins cinq des manifestations suivantes, pour citer le DSM :

1. Le sujet est mal à l’aise dans les situations où il n’est pas au centre de l’attention d’autrui
2. L’interaction avec autrui est souvent caractérisée par un comportement de séduction sexuelle inadaptée ou une attitude provocante
3. Expression émotionnelle superficielle et rapidement changeante
4. Utilise régulièrement son aspect physique pour attirer l’attention sur soi
5. Manière de parler trop subjective mais pauvre en détails
6. Dramatisation, théâtralisme et exagération de l’expression émotionnelle
7. Suggestibilité, est facilement influencé par autrui ou par les circonstances
8. Considère que ses relations sont plus intimes qu’elles ne le sont en réalité

Source : Michel Delbrouck, Psychopathologie : Manuel à l’usage du médecin et du psychothérapeute, pp.350-352

Delbrouck est assez sévère dans sa description : « lorsqu’elle est en groupe, cette personnalité fait parfois honte à ceux qui l’accompagnent car elle s’exprime de manière exagérée, en riant aux éclats, en parlant très fort ou bien en prenant un air désespéré dans d’autres circonstances. » Il parle de « caractère d’inauthenticité », « d’actions enflées », de liens affectifs tissés très rapidement mais sans maintien de la relation.

L’hystérique joue le rôle que l’autre est censé attendre de sa part, ce que Delbrouck appelle suggestibilité.

Il pointe sa labilité émotionnelle : passer du rire aux larmes ou l’inverse. Une dialectique relationnelle basée sur l’affect. Avec, toujours, manipulation, dans le but de mener l’autre où il veut le conduire. L’hystérique prendrait la position de victime afin de tenter de maîtriser l’autre.

Autres caractéristiques : la mythomanie (l’hystérique vit dans un monde de pensée imaginaire, il ne s’agit pas de mensonge mais d’une falsification de la réalité et de ses rapports avec autrui de manière à s’imposer dans l’étendue du désir de l’autre), le fait d’être en représentation perpétuelle (dans sa dépendance de l’autre, l’hystérique abdique sa propre personnalité), l’égocentrisme, les troubles de la sexualité, la dépendance affective

Cette posture « sachante » pour analyser un individu, celle de Delbrouck et qui n’est pas la mienne, pourrait relever de la normopathie, ce qui nous amènerait ailleurs. Quoique. Renier en soi sa part d’hystérie en la rendant laide, grotesque, cette vision normopathe de la psychiatrie, est une idéologie qui charrie, misogynie et masculinisme en tête, une conception fascisante de la société.
Plus stimulant sera de nous demander ce que vit « l’hystérique », chez qui coexistent à la fois la nécessité, vitale, d’être vu(e), reconnu(e), aimé(e) et une impossibilité de recevoir, d’intégrer la reconnaissance, de s’en nourrir (voir la métaphore caricaturale du comédien) ? L’insécurité de fond est grande, souffrante, le besoin de plaire devient l’obligation de faire plaisir à l’autre, de le séduire, plutôt que de conscientiser son propre désir, authentique, et de le suivre.

Dire « l’hystérique » est un raccourci, « l’individu quand il a recours à l’hystérie » serait plus juste, car l’hystérie, comme tous les traits, troubles classés par les manuels de psychopathologie est avant tout une ressource, une façon de s’adapter à l’environnement. La psychopathologie est une clé d’interprétation comme une autre, je lui préfère le cinéma, la littérature, mais bon, ce texte s’inscrit dans un contexte de formation didactique.

Et donc.

Je trouve intéressant de nous appuyer sur « Psychothérapie existentielle » de Noël Salathé car, même si l’ouvrage date de 1995 et que Salathé fait la distinction, un peu obsolète, entre hystérie classique, hystérie labile et hystérie théâtrale (histrionisme), il replace les différentes facettes du « caractère hystérique » dans le cadre de la théorie du Self et propose un accompagnement thérapeutique gestaltiste.

Sur un plan phénoménologique, Salathé décrit s’abord un « système cognitif global, assez diffus, manquant de netteté, surtout concernant les détails. L’attention est peu soutenue : l’hystérique ne cherche pas le détail mais s’attache à ce qui est très frappant, impressionnant. Il n’est pas capable de concentration intellectuelle intense ou soutenue, se distrait très facilement. Son monde n’est pas enraciné dans des faits concrets. Il ne cherche pas des solutions articulées sur des principes rigoureux, mais travaille au « flash », à « l’inspiration ». Il s’ensuit en pratique qu’il manque souvent très nettement de connaissances. Son univers subjectif est constitué non de savoir mais de fantasmes et de romanesque. Les hystériques sont « naïfs » : il y a inhibition du cognitif.
Le jugement, les idées comme les affects sont labiles et non pas profondément intégrés. Ils ne font pas l’objet d’une mise en relation avec la structure Personnalité, de plus la fonction Moi est inopérante. Ainsi l’impressionnisme cognitif a son pendant dans l’affectif. Ce dernier, qui est vite déclenché et éprouvé au niveau conscient, est d’emblée considéré comme le produit fini, il ne fait l’objet d’aucune perlaboration. L’organisation, le raffinement et l’intégration des contenus psychiques sont court-circuités. Le processus par lequel un jugement, une impression diffuse, deviennent une idée claire ou celui par lequel une perception se transforme en émotion profonde, ces processus sont inexistants chez l’hystérique. L’inhibition de l’affect, de sa manifestation à l’état « brut », se produisent uniquement lorsque les choses prennent une tournure véritablement sérieuse, que tout cela cesse d’être du cinéma, un spectacle pour faire semblant. Il s’agit alors souvent d’une rencontre choc à ce stade avec une introjection (un interdit) massive en contradiction flagrante avec la réalisation subite que son jeu est pris au sérieux par l’interlocuteur. » pp.118-119

Hystérie classique

Salathé reprend des éléments de la vision freudienne du complexe d’Œdipe, puisqu’il décrit le mécanisme hystérique comme un interdit sexuel puissamment introjeté face à la montée d’une bouffée énorme de désir, d’une pulsion érotique très éclatante.
Des symptômes par conversion et autres somatisations importantes (par exemple : hyperventilation, vertiges, somnolence, céphalées, troubles du sommeil, convulsions, évanouissements…) peuvent se former.
Déflexion possible : fantasmes ou rêves mais même cette déflexion est culpabilisante.
Solution : répression massive jusqu’à la dévitalisation, la paralysie.
Besoin, également, de se déresponsabiliser du désir par une projection = création d’un symptôme renforçant la répression (ex : mise en place d’une frigidité ou argumentation du genre « mon cœur ne me permet pas… »)

Introjection fondamentale + fonction Ça omnipotente
Moi totalement occulté par l’interdit.
Rupture du cycle du contact au niveau de l’excitation ou, plus tard à l’étape de l’émotion.

Si le blocage n’a pas tout à fait lieu à l’étape de l’émotion, il y a début de jeu, de mise en acte par la séduction (toujours dans le registre du Ça).
Puis, ce jeu, quand l’individu réalise qu’il n’est pas innocent, est suivi d’une grande montée d’angoisse. Le processus se terminera par une formation réactionnelle (fuite physique, symptôme, frigidité) venant renforcer l’introjection, éviter sa mise en échec et l’angoisse que cette perspective engendre.

Posture du thérapeute en Gestalt : viser la mise en échec du processus de déresponsabilisation. Amener le ou la patient.e à accéder au Moi, l’idée étant d’expérimenter qu’il a des choix possibles
Autre niveau mis en cause : l’introjection (qui peut bloquer la mise en œuvre éventuelle du Moi).
Axer la prise de conscience sur la responsabilité du Moi et non sur l’irresponsabilité du Ça. Le Moi n’est pas responsable des pulsions du Ça
Faire percevoir la distinction entre fantasme et action.

Hystérie labile

Cette forme est moins liée à l’hystérie classique avec interdiction et répression d’un désir sexuel (selon Salathé) : cette forme est celle dans laquelle la labilité est dominante dans le tableau comportemental.

La labilité est une caractéristique de toute hystérie. Elle porte sur l’ensemble des domaines de l’expérience : cognitif, émotif, affectif, spirituel même. Le sujet passe à toute vitesse d’un intérêt à l’autre, d’une humeur à l’autre, d’une impression à l’autre, d’un désir à l’autre et ainsi de suite sans cesse. L’hystérique touche à tout, n’achève rien. Il part, il court, dans toutes les directions à la fois.

Pour les personnes autour de lui, les relations sont très frustrantes, ses partenaires ne peuvent jamais compter sur rien, ne peuvent rien planifier, ne sachant pas ce qui va se passer d’un moment à l’autre. Même le contact verbal est difficile, la conversation étant à tout moment défléchie par l’hystérique. Ce n’est pas qu’il y ait absence d’énergie, mais celle-ci est éparpillée, elle n’avance à rien et tout reste en définitive sur place après brassage de beaucoup d’air.

En termes de Gestalt, nous sommes en présence d’une multitude de gestalts avortées après la période de prise de conscience et avant l’étape, selon le cas, soit de l’action, soit de l’interaction. Il y a blocage parce que le Ça se trouve sollicité à nouveau et les gestalts se téléscopent. La suivante arrive avant que la précédente n’ait été complétée. Elle reste en rade. Il y a agitation, émotion, mais le cycle s’arrête à peu près là. Comme il y a absence de contact, bien évidemment il n’y a pas de période d’intégration et donc pas de possibilité de structuration de Personnalité forte. Une excitation du Ça chasse l’autre, sans passage au Moi et sans suite dans le développement du cycle.

Dans le contexte sexuel, étant donné qu’il n’y a pas d’inhibition (à la différence de l’hystérie classique), sous la poussée du Ça, l’acte est poursuivi jusqu’à l’interaction (coït). L’orientation, le choix du partenaire n’aura pas forcément été bonne puisque le Moi se trouve submergé par le Ça. Le passage à l’acte est impulsif, le contact reste souvent superficiel. Le Ça demeure la fonction première et l’excitation va :

Soit rester constamment en charge, donc incapacité de relâcher, de passer au registre Moyen, à la confluence et au retrait, l’état fébrile demeurant sans satisfaction ultime
Soit être remplacée par une nouvelle excitation, les relations se multipliant avec de nombreux partenaires d’occasion. La labilité sexuelle se traduisant par un comportement rappelant la nymphomanie ou le satyriasis.

Dans une perspective existentielle, ce comportement peut être compris comme une tentative forcenée d’échapper à la contrainte de solitude, combinée à un système de protection face à l’impossibilité de bénéficier de l’amour inconditionnel tant désiré.

Piste de travail thérapeutique autour de l’angoisse profonde originelle qui est l’imaginaire de l’impossibilité de satisfaction réelle du désir. Donc plutôt d’une projection (et non introjection comme dans l’hystérie classique).
Autre cible d’intervention : la labilité. Le thérapeute peut s’efforcer de ralentir les sollicitations du Ça, baisser le niveau d’excitation, faire prendre le temps de bien former l’émotion et passer aux étapes supérieures.
Mettre la fonction Moi en œuvre en invitant à faire des choix, à établir des hiérarchies dans les pulsions et à les amener à pleine maturation.
Fin de l’emprunt à l’ouvrage de Noël Salathé, Psychothérapie existentielle, une approche gestaltiste.

D’où ça vient ? À quoi ça sert ? Bref regard anthropologique

Dans Psychopathologie en gestalt-thérapie, l’article de Sergio La ROSA a pour mission de voir l’hystérie comme un phénomène social, comme une pathologie qui n’est pas limitée à l’univers féminin, ou à la comprendre comme une manifestation qui remonte aux origines anthropologiques de la culture. On peut faire un détour par les bonobos, comme le fait Dragoslav Miric, qui précisent que chez ces primates, un comportement sexuel « inapproprié » ou exagéré, comme le fait de présenter soudainement son pénis ou sa vulve, avait pour fonction d’éviter un conflit ou d’y mettre un terme.
LA ROSA revient également sur l’évolution des espèces. Chez les primates développés, l’exagération des qualités sexuelles a pour but d’attirer le sexe opposé : l’exagération, la simulation, induit un succès élevé en terme de reproduction. Il s’est donc agi, aux origines, d’une question de survie de l’espèce.
Les individus malades ou âgés (donc sans activité de reproduction) forment des groupes coopératifs. De même, les femelles qui sont en charge des petits. Les leaders de ces groupes coopératifs testent les individus qui, pour survivre, doivent également simuler et exagérer leurs qualités. En gros, paraître faible peut entraîner l’exclusion du groupe coopératif. Les petits aussi apprennent très tôt à simuler, exagérer.
Et La ROSA de conclure : « la progéniture et les femelles pourraient ainsi avoir eu recours à la simulation pour éviter d’être abusées par des mâles adultes. » p.770
A-t-on tellement changé ?

Il Casanova - Federico Fellini

Je repense à Blanche Dubois, la femme terrifiée à l’idée de vieillir et qui, pour ne pas être une nouvelle fois exclue, simule et exagère ses qualités de séduction face aux hommes qu’elle rencontre chez sa sœur, son beau-frère et son ami, cherchant peut-être, sans doute, leur protection. Ne pas leur plaire pourrait signifier devoir partir, vivre l’exclusion, or Blanche a épuisé tous les recours dont elle disposait et n’a plus nulle part où aller.
Prisonnière de sa dépendance aux autres, une dépendance dont elle n’est pas responsable, victime de la domination sexuelle de Kowalscki qui la viole le soir où sa femme part accoucher, elle est accusée de simulation par sa sœur qui ne veut pas croire au viol. À la fin, Blanche finit par accepter d’être internée à l’asile et le film se finit sur son sourire, alors qu’elle s’adresse au « gentil médecin » en lui disant : « J’ai toujours dépendu de la gentillesse des inconnus. »

Écrit dans le cadre du troisième cycle de formation à l’École parisienne de Gestalt
2024