Quand j’entre dans la bibliothèque du centre des études catalanes, deux personnes seulement sont assises, la bibliothécaire et une lectrice. La pièce est rectangulaire, assez grande, meublée par des tables de travail, des rayonnages de livres le long des murs et par le bureau de la bibliothécaire. La simplicité du lieu ne me surprend pas. Dans le hall du centre, c’est la même chose, rien ne surcharge, rien qui ne soit ostentatoire. J’associe cela à la Catalogne, non pas à celle de Gaudí ou de Dalí, mais aux intérieurs que je connais.
C’était cela, dans l’enfance, des maisons simples, fonctionnelles.
Jamais trop. Ne pas prétendre à. Ne pas se prendre pour. Est-ce un trait culturel ? Historique ? Politique ?
Dès le deuxième cours, un verbe surgit, senyorejar, que le professeur peine à traduire et qu’il paraphrase en agir comme un seigneur, se prendre pour un seigneur, paroles qu’il accompagne d’une gestuelle de mâle qui roule des mécaniques.
Le soir, dans le dictionnaire de langue catalane que j’ai à la maison, je ne trouve pas senyorejar mais le nom commun senyor.a, suivi des définitions habituelles, assez identiques à celles du français :
Senoyerar, je le trouve finalement en ligne, dans le diccionari.cat (une ressource fiable). Parmi les différentes définitions du verbe, trois m’interpellent :
L’une, au sens figuré :
Deux autres, à la forme intransitive :
Pour cette dernière, une phrase est donnée à titre d’exemple : Quan passejava per la rambla, senyorejava, però en realitat era un pelacanyes.
Que je traduis dans ma tête en : « Quand je me promenais sur la rambla, je me prenais pour un seigneur alors qu’en réalité j’étais un pelacanyes (un pauvre type ? un plouc ? un miséreux ?) »
Je « seigneurais », je me prenais pour un seigneur – je retrouve ici l’idée d’une présomption qui serait ridicule et qui masquerait, par une imposture, la réalité.
De même, à la forme intransitive, senyorejar s’applique quand la domination est absolue, ce que je comprends, par glissement immédiat, comme la dénonciation d’un abus de pouvoir. Ou est-ce moi qui perçois le langage de façon idéologique ?
Le mot qui n’existe pas : exercer (abusivement ?) un pouvoir de seigneur (senyorejar).